Lekh lekha

Lekh lekha

Quoi ?
Va vers toi !

Ce n’est pas plus clair !
Marche, fais des pas, chemine, progresse vers toi. (1)

Moi ?
Oui, toi !

Je commence où ? je commence quand ?
Pars du point où tu es, du point où tu en es, il n’y a pas de qualification requise, ni de pédigrée spirituel. Pourquoi attendre ?

Pourquoi y aller ?
C’est dans ton intérêt, lekh lekha, qui est traduit « va vers toi », signifie aussi « va pour toi ».(2)
Si tu as besoin d’y aller c’est que tu n’y es pas !

Mais dans « va vers toi », c’est qui « toi » ?
Le toi profond, le toi réel, le toi véritable, le toi originel, le toi selon Dieu, le toi en devenir, Paul appelle ce nouveau « je » : Christ.
Dans une moindre mesure :
Abram a eu besoin d’aller vers Abraham ;
Jacob a eu besoin d’aller vers Israël ;
Simon a eu besoin d’aller vers Pierre ;
Saul a eu besoin d’aller vers Paul. (3)
À combien plus forte raison, toi, va vers ton nouveau « JE » !

Mais comment fait-on ?
« Va vers toi » signifie « retourne-toi », « détourne-toi de ton orientation extérieure » et « va vers l’intérieur de toi ».

Je ne comprends pas très bien le concept, peut-on le dire avec d’autre mots ?
Genoi oios essi mathôn !

???
Ce sont les mots de Pindare, un philosophe grec, adressés à Hiéron. Ils signifient littéralement « deviens qui tu es en l’apprenant ». (4)
Plus connus sous sa forme abrégée « deviens qui tu es » ou « deviens ce que tu es », repris par Martial, saint Augustin, Nietzsche, Kierkegaard et d’autres.

Devenir en apprenant ?
Exactement ! Les deux concepts ont été « distingués » ; le premier sera repris et développé notamment par Nietzsche. « Deviens qui tu es » est présent dans plusieurs de ses ouvrages.
Platon lui, mettant ces mots dans la bouche de Socrate, s’appuiera sur le second avec le fameux GNOTHI SEAUTON : « Connais-toi toi-même. » (5)

Mais « devenir ce qu’on est », ça ne veut rien dire !
Ces paroles ont été diversement comprises et reprises. Nietzsche l’a interprété ainsi : « transcende-toi et deviens un sur-homme… », mais là, nous sommes éloignés de la formulation originale.
De prime abord, il est vrai que « Deviens ce que tu es » présente un paradoxe temporel, qui est normal car la substance en transcende le temps.
Le verbe devenir est conjugué au présent mais il contient une projection vers le futur.
L’expression contient tant une référence au passé : deviens ce que tu es à l’origine ;
Qu’une une référence au présent : deviens ce que tu es vraiment ;
Et qu’une une référence au futur : deviens ce que tu es en devenir.
Ces trois références pointent vers un seul et même être.

D’accord pour cette première partie, mais la sentence précisait le moyen : en l’apprenant. Comment l’apprendre ?
Platon met l’accent sur le GNOTHI SEAUTON « connais-toi toi-même », devise gravée sur le fronton du temple d’Apollon de Delphes. (5)
L’expression complète serait : Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux.
Cette devise laisse entendre que nous ne nous connaissons pas réellement, que la connaissance de soi n’est pas une donnée immédiate de la conscience. Elle nous invite donc à entreprendre une recherche, une descente dans les profondeurs de notre intériorité pour trouver l’essence de notre être.

Comment faire ?
Il est écrit dans la Bible que c’est l’esprit de l’homme en lui qui connaît les choses de l’homme. (6)
Il est aussi écrit que l’esprit de l’homme est une lampe de Dieu éclairant les chambres intérieures du ventre. (7)
Si nous voulons nous connaître, connaître nos profondeurs, nous n’avons pas d’autre choix que la voie spirituelle qu’est l’intériorité. Se connaître soi-même est donc une invitation à un voyage spirituel intérieur, un « va vers toi ».

Donc le but à atteindre serait d’aller vers soi-même pour mieux se connaître, ce n’est pas un peu trop se centrer sur soi ?
La suite de la devise delphique (qui a très bien pu être rajoutée ultérieurement mais qui néanmoins est cohérente) contient : Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux.
Il est intéressant de constater que, dans la connaissance de ses propres profondeurs, on puisse puiser une connaissance de l’univers et une connaissance divine. Cela signifie qu’il y a un point de connexion, une porte d’accès, un carrefour où ces « connaissances » se rejoignent.
En se connaissant « extérieurement », en restant à la superficialité de notre être et à l’image que nous avons de nous-même ; En étudiant « l’extérieur » de Dieu via des écritures ou de la théologie, ou « l’extérieur » de l’univers via des études parcellaires de ce que l’on peut observer, nous restons dans une « connaissance » partielle et souvent « biaisée ».
En entrant dans nos profondeurs, nous avançons plus profondément dans une connaissance de nous-même, de Dieu et de l’univers. En voici la raison :
– Nous y trouvons Christ car Christ est en nous (8) ;
– En lui sont cachés tous les trésors de connaissance et de sagesse (9) ;
– Dieu est en Christ (10) ;
– Notre vie est cachée avec Christ en Dieu (11) ;
– Toutes les choses des cieux et de la terre sont réunies, récapitulées, résumées, trouvent leur sens et leur cohérence en Christ. (12)
Notre regard sur toute chose s’en trouve donc transfiguré et notre compréhension sublimée. Une connaissance qui ne reste pas information ou observation mais pénétration. (13)
Nous ne pouvons pas rester les mêmes dans ce cheminement, et ces changements ne sont pas sans conséquences sur notre engagement en tant qu’’être humain.

Là ça donne envie !
C’est une invitation à passer sur l’autre rive, c’est une attraction céleste. Tu ne t’y imposes pas, tu y es invité et attendu.
Si tu veux sortir des limites que cette vie t’impose, si tu veux goûter l’éveil et la vraie liberté, deviens qui tu es (sinon reste ce que tu hais).

Auteur: Patrick Fontaine


Le lecteur profitera plus de ce dialogue en ayant pris connaissance des parties précédentes de cette série :
Part.I 
Part.II
Part.III


(1) Signification littérale de lekh lekha (pour un homme ; pour une femme, cela serait lekhi lakh).
(2) Rachi traduit l’expression lekh lekha par « va pour toi’, Il la commente par ces mots : Lahanaatekha ou letovatekha, pour ta jouissance et pour ton bien.
(3) Genèse 17, 5 ; Genèse 32, 28 ; Marc 3, 16; Actes 13, 9.
(4) Pindare, IIème Pythique, v.72.
(5) Platon, on trouve ces mots (attribués à Socrate) dans ces Dialogues : CharmidePhilèbe et le Premier Alcibiade.
(6) 1ère Épître de Paul aux Corinthiens 2, 11.
(7) Livre des Proverbes, 20, 27, traduction littérale d’après les notes de J.N. Darby.
(8) Épître de Paul aux Colossiens, 1, 27.
(9) Épître de Paul aux Colossiens, 2, 2-3.
(10) 2de Épître de Paul aux Corinthiens, 5, 19.
(11) Épître de Paul aux Colossiens 3, 3.
(12) Épître de Paul aux Éphésiens, 1, 10. Ce sont tous les sens du verbe anakephalaiomai, et cela concerne tout l’univers, le neutre pluriel, ta panta, ne pouvant pas se restreindre aux créatures intelligentes et incluant : Les vivants et les morts, l’animé et l’inanimé, le minéral, le végétal, l’animal et l’humain, le microcosme et le macrocosme, la matière et le subtil, le physique et le spirituel.
(13) Terme de prédilection d’André Chouraqui pour traduire le mot « connaissance » dans sa traduction de Bible.

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